Recherches à la BNF en été 2010

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Eté 2010 : séjour parisien à la Bibliothèque Nationale de France, par JBD


Cette année, gottschalk.fr, représenté par EDSO et JBD, a poursuivi ses recherches à Paris à la BNF, en août. Les recherches ont pris des voies nouvelles. Nous avons bien sûr consulté des articles de revues musicales du milieu du XIXème siècle. Nous nous sommes aussi livré à un petit exercice amusant : le recensement rapide des occurrences du nom « Gottschalk » dans quelques-unes de ces revues. Le recensement est assez frappant : peu d’apparitions du nom Gottschalk hors des années de sa tournée européenne, mais cela est également le cas pour Chopin ou Liszt ! Les noms de compositeurs pour piano qui apparaissent le plus souvent sont ceux de compositeurs aujourd’hui tombés dans un oubli presque entier : Emile Prudent, Friedrich Kalkbrenner et bien d’autres. L’évolution des goûts et de la sensibilité du public, l’influence de la musicologie et des institutions musicales, l’importance des réseaux sociaux pour assurer la pérennité d’une œuvre, le système économique du monde de la musique, les aléas de la vie, les vicissitudes de l’histoire, y sont sans doute pour beaucoup dans la postérité (ou non) des œuvres des compositeurs, parfois plus que la qualité intrinsèque de leur musique, à condition que cela ait un sens : est-il possible d’isoler, puis d’évaluer, la qualité musicale hors de tout contexte extra-musical ?

Du côté de l’examen de partitions, nous avons notamment découvert les œuvres suivantes (impossibles à trouver dans le commerce) :

  1. Muzio CLEMENTI (1752-1832) : Fantaisie avec variations sur l’air « Au clair de la lune », opus 48. Cette œuvre d’une dizaine de minutes fut composée en 1821. Elle a déjà fait l’objet de trois enregistrements, par le fortepianiste Andreas Staier et par les pianistes Vittorio Forte et Pietro Spada. Il est possible d’écouter les interprétation de Staier et de Spada sur le site deezer.com. « Au clair de la lune » : le thème est très connu et très simple. Il s’agit bien de la chanson populaire du XVIIIème siècle, ici reprise par Clementi, le contemporain de Mozart, de Beethoven et de Schubert, considéré par la musicologie officielle comme le père de la technique moderne pianistique. La Fantaisie de Clementi, composée et dédiée à une certaine Madame la Maréchale Moreau (rien à voir a priori avec Louis Moreau Gottschalk !), est très originale et met très bien en valeur le thème pourtant très simple. Une introduction mystérieuse – en ut mineur – et pleine d’esprit, précède l’exposition solennelle – en ut majeur – du thème, qui fait sourire. Les variations se succèdent ensuite, les unes éclatantes de virtuosité, les autres plus apaisées, dans l’esprit du premier mouvement de la sonate intitulée « Clair de lune » (1801) de Beethoven, mais sur le mode majeur. L’usage des suraigus dans certaines variations virtuoses, magistral, fait par contre penser aux dernières sonates de Beethoven (1814-1822). On pourra peut-être regretter la virtuosité un peu gratuite et tapageuse de la fin de la Fantaisie, mais cela n’altère en rien l’incroyable exploit de traiter pianistiquement un thème simple et reconnaissable par le public le plus large. L’immense pianiste Vladimir Horowitz, qui a beaucoup contribué à sa redécouverte considérait Clementi au même niveau que Beethoven ; à écouter la Fantaisie « Au clair de la lune », on se dit qu’il n’avait pas tort
  2. Jean-Louis ADAM (1758-1848) : Air du bon Roi d’Agobert avec douze variations, précédé d’un Prélude ou Introduction, opus 9. Si Clementi est le « père » de la technique pianistique moderne, alors Jean-Louis Adam (le père d’Adolphe Adam, le compositeur du ballet Giselle et de la chanson « Minuit, chrétiens ») est le père de l’Ecole française de piano. D’origine alsacienne, ce professeur de piano au Conservatoire de Paris (créé en 1795) de 1797 à 1842, écrivit trois méthodes de piano entre 1798 et 1804 qui ont eu une forte influence sur l’enseignement du piano en France. Jean-Louis Adam fut aussi l’un des premiers pianistes-compositeurs virtuoses. Il fit fortune sous le Premier Empire grâce à ses pièces brillantes de virtuosité, pleines d’arpèges et de gammes, en particulier ses populaires Variations sur le Roi Dagobert. La chanson, elle, n’est pas tombée dans l’oubli, au contraire de ses variations par Adam : les variations sont virtuoses, c’est indéniable, mais la virtuosité qui y est déployée est sans doute un peu trop gratuite et témoigne de la superficialité des goûts, soulignée par les musicologues, en matière de musique sous le Premier Empire. L’introduction à la série des douze variations mérite quand même un coup d’œil (et d’oreille), pour sa virtuosité délirante (pour l’époque), son côté quasi improvisée et son caractère grandiose. Après l’exposition du thème, les variations s’enchaînent et présentent la panoplie des difficultés de l’époque : arpèges à la main gauche (var. 1), thème à la main gauche (var. 2 et 10), trilles dans l’aigu et indépendance des doigts de la main droite (var. 4), passages en tierce à la main droite (var. 6), trilles à la main gauche (var. 8), trémolos aux deux mains (var. 9, une des spécialités de Jean-Louis Adam), passage de la main gauche au-dessus de la main droite (var. 11). Malgré cette diversité technique, les variations restent ancrées dans la même tonalité (fa majeur). Seule la var. 8 est en ré mineur. Notons aussi la var. 10, qui recherche davantage la dissonance, et la var. 11 avec ses tierces à la main gauche jouées dans les suraigus qui surenchérissent sur ce qu’a pu faire Mozart dans ce domaine (variation n°4 du premier mouvement Andante grazioso de la Sonate n°11 de Mozart en la majeur dite « Alla turca », composée vers 1778-1783). La fin de l’œuvre de Adam s’avère assez décevante : après la douzième et dernière variation, certes en « fanfare », nous aurions aimé trouver une coda grandiose bien arpégée. Ce n’est pas le cas (Adam sait le faire pourtant). Dommage car l’impression qui demeure après l’écoute de l’œuvre est d’avoir assisté à une démonstration technique, une plaisanterie musicale, plus qu’à une musique longuement élaborée. Pourtant nous sentons bien à l’écoute de l’œuvre qu’elle ouvre toute une lignée de compositions virtuoses. Ainsi, parmi les illustres élèves de Jean-Louis Adam nous trouvons le pianiste-compositeur Kalkbrenner, dont nous allons immédiatement examiner une œuvre.
  3. Friedrich KALKBRENNER (1784-1849) : Grande Fantaisie et Variations sur un thème de la Norma de Bellini, opus 140. Nous n’avons pas trouvé d’enregistrement de cette œuvre virtuose dédiée à la Duchesse d’Orléans, composée par Kalkbrenner, qui fut le professeur de piano de Camille-Marie Stamaty (1811-1870) : ce dernier sera le professeur de Gottschalk (1829-1869) et de Saint-Saëns (1835-1921). Liszt a aussi écrit des « Réminiscences de Norma », beaucoup plus riches thématiquement et plus variées techniquement. Kalkbrenner se limite au thème principal, en sol majeur, de la Fantaisie de Liszt qui date de 1843 et qui exploite d’autres thèmes de la Norma. Nous n’avons pas trouvé de date de composition pour la Fantaisie de Kalkbrenner. Elle est vraisemblablement antérieure à celle de Liszt. L’introduction et l’exposition du thème de la Fantaisie de Kalkbrenner semblent intéressantes. La deuxième variation est en notes répétées comme dans l’Hymne Portugais de Gottschalk. Ensuite les variations s’enchaînent sans être numérotées. Quelques modulations semblent surprenantes, voire mal préparées, mais il faudrait pouvoir écouter un enregistrement (éventuellement sur pianoforte) ou travailler en profondeur les passages concernés pour trancher cette question et sérieusement évaluer la Fantaisie dans son ensemble. Mais il est déjà clair qu’elle n’est pas un chef-d’œuvre mais une composition pouvant témoigner des progrès virtuoses de l’ère du piano précédant Thalberg et Liszt. La dernière variation est très agréable, avec ses notes cristallines à la Liszt/Gottschalk et ses traits virtuoses à la Thalberg.
  4. Teresa CARREÑO (1853-1917) : Le Ruisseau, première étude de salon, opus 29 et : Mazurka de salon, opus 30. Teresa Carreño, pianiste vénézuélienne, fut l’élève de Gottschalk (elle lui dédie une « Gottschalk Waltz »). Elle eut l’estime de Liszt. La « Walkyrie du piano » laisse à la postérité une quarantaine de compositions, essentiellement de la musique pour piano. Certaines sont enregistrées au CD, notamment l’éblouissante Valse « Le Printemps », la rayonnante « Barcarolle vénitienne » ou encore le très souple « Intermezzo ». Les deux pièces que nous analysons brièvement ici ne sont pas les meilleures de Carreño mais elles permettent de comprendre son style lorsqu’elle compose de brèves pièces de musique de salon de caractère intimiste. Le « Ruisseau » et la « Mazurka » ont été publiées par Heugel en 1869 à Paris. Carreño, enfant prodige, avait alors 16 ans. Le « Ruisseau » est une étude fondée sur des enchaînements très rapides de sixtes à la main droite qui évoquent la fluidité. Le thème est joli mais, convenu et répété trop souvent, il devient à notre avis lassant. La section centrale, en mi bémol majeur (le reste de la pièce est en sol majeur), tonalité chère à Gottschalk, ne se limite qu’à un développement timide du thème initial comme si Carreño se contentait du petit effet de surprise dû à la charmante modulation de sol majeur vers mi bémol majeur. Ce n’est que dans la dernière partie du morceau que le thème est davantage développé et atteint à notre avis une grande qualité musicale et une réelle ampleur. Concernant la « Mazurka », elle commence par une courte introduction sans grande prétention, presque scolaire, du moins assez fade par rapport au propos musical du reste de la pièce. Par contre, le thème de la mazurka est particulièrement nostalgique, traité à la Gottschalk tant sur le plan harmonique que rythmique. D’autres passages évoquent « The Dying Swan » de Gottschalk (une pièce peut-être composée en 1869). Ailleurs, le traitement harmonique rattache le style de Carreño à Schumann ou Mendelssohn. La brève coda de la Mazurka est remarquable par sa simplicité et sa beauté triste. En résumé, les deux pièces analysées ici ne sont pas les meilleures de Carreño. Elles restent ancrées dans le romantisme allemand du milieu du XIXème siècle, mais elles sont aussi influencées par le pianisme de Gottschalk. Cependant, le résultat de l’analyse de ces deux pièces ne doit pas dissuader le passionné de musique pour piano du XIXème siècle d’écouter les quelques plus belles oeuvres de Carreño (que nous mentionnions au début du paragraphe) qui peuvent rivaliser – à notre avis – avec bien des pages de Liszt et de Gottschalk.

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Le fonds musical de la BNF, extrêmement riche et semble-t-il malheureusement non informatisé (les œuvres sont classées par compositeur dans de longs tiroirs sur de petites fiches cartonnées), nécessitera encore plusieurs années de recherches sur les compositeurs pour piano de la fin du XVIIIème siècle et surtout du milieu du XIXème siècle qui nous intéressent et dont nous aimerions faire partager le plaisir de la redécouverte lorsque nous pensons que leurs oeuvres ne méritaient pas un oubli injustifiable sur le plan musical.

J.-B. D.